On en fait pourquoi, au fait ? Par accident, parfois. Par pulsion, souvent – on les sent dans nos ventres, une fois qu’on a trouvé une maman potable, qui nous supportera quelques saisons. Par égoïsme, toujours. Avoir la garantie qu’il y aura au moins un ou deux pelés à son enterrement. Revivre l’enfance perdue à travers eux. Laisser quelque chose sur terre. Etre un héros, un père repère, au moins un temps, dans leurs yeux. Trouver une bonne raison de se lever. Disposer d’un traitement anti-dépresseur, 24/24, contre l’indicible bêtise du monde.

Aux gosses, on donne tout ce qu’il nous reste d’énergie, d’argent et d’amour – trois composantes à géométrie variable, chacun faisant ce qu’il peut. Il faut faire montre d’ingéniosité – loisirs créatifs, idées de sorties, nouvelles recettes pour faire passer les légumes, soirées pyjamas. Un dénominateur commun : la volonté de leur transmettre des valeurs. Les miennes tiennent en deux lignes : respect, humilité, plaisir, indépendance d’esprit, connaissance, travail, sourire, voyage, autodérision, culture, goût des autres. Ils se fabriqueront les leurs et nous devons l’accepter. Ils sont notre sang jeté au monde. La plus grave erreur serait d’attendre quelque chose d’eux. « Tu veux que je fasse quoi, plus tard, papa ? – C’est pas moi qui choisis, crapiaud, c’est toi. Tu trafiquerais des armes ou de la drogue, je t’aimerais quand même. Tâche juste d’être heureux. Et en attendant, fais tes devoirs. »

L’été naissant est leur royaume. On profite enfin d’eux, après onze mois d’usine-articles. Ils nous font payer nos absences, testent nos limites. « Même quand tu es là, tu n’es pas là. Tu es scotché à ton Iphone. » Réconciliation autour d’une glace, Iphone éteint, devant une autre mer, plus puissante. Shooting sur la dune du Pyla, dévalée en riant, côté océan. On découvre des choses que le quotidien avait englouties : une expression du regard, un penchant pour le fromage, des potins de classe. Premiers pas du petit dernier. Premier voyage en avion. Pendant que je cache ma peur-panique de ces engins du diable, ils s’extasient de la vue, le nez collé au hublot.

Les mieux élevés d’entre eux ignorent l’ostracisme. Fils de richard ou fils de rien peuvent nouer les plus belles amitiés. A l’âge adulte, la chose devient impossible : on est devenus quelqu’un.
Ah, l’odyssée des gosses… Il n’y a pas d’autre choix que de les aimer, y compris quand arrive l’âge bête, qui nous les rend odieux et exécrables. Dans leurs failles dansent les reflets de nos propres démons. Et c’est quand même marrant : les conseils les plus avisés et les plus diplomates viennent souvent de ceux qui n’en ont pas.