C’est un épais mystère. Les matins où j’emmène la petitoune à l’école, je coule une brasse entre les parents d’élèves qui se claquent la bise avec gourmandise et bavassent le bout de gras. Puis, chemin faisant, je les vois siroter un café au bar du coin, comme dans une scène de pub italienne – la mer Méditerranée et la Vespa en moins, les poubelles montpelliéraines non collectées en plus. Recalé à l’exam’ de sympathie – et n’ayant pas perdu une seconde de sommeil pour ça -, j’observe avec amusement cette alchimie de parents croisés. Laquelle me poursuit partout, jusqu’à la kermesse de fin d’année ou, fond de la misère, jusqu’aux réunions parents-profs, jalonnées de questions décisives. « Et que mangent-ils à la cantine ? » « Pour la sortie au zoo, il faut payer ? » « La nouvelle option tae-kwon-do peut-elle être décalée de 16h30 à 12h15 ? » L’écume des jours, toujours recommencée. Et invariablement, je pose une seule et même question, dont tout le monde se fout, mais que je continuerai à poser, même à la 10ème petitoune, si j’en avais 10 : « Font-ils du sport ? »

C’est un épais mystère. Alors que l’année scolaire va se délester de son « c » cartable et virer au solaire, voilà que ce groupe de parents amateurs de café-sur-ordures ourdit un complot contre « maîtresse Odile » – c’est son prénom de scène, si je me rappelle bien. Échanges de mails groupés – pour servir leur cause, on est cette fois mis dans la boucle -, fustigeant, sur la base des éléments rapportés par leurs bambins de 4 ans, des méthodes pédagogiques jugées inadaptées. Et vas-y qu’on se sonde, en projetant de réunionniter aigu, en vue de saisir l’autorité suprême (la directrice). Drôle de récré de juin. Ordre du jour confidentiel des échanges numériques : « Il y a trop de coloriage, d’après Sofia », « Julie ne veut plus aller à l’école », « Matthias dit qu’il s’ennuie en classe ». Peuchère, ils ont pas fini, vos gosses, de se faire tartir au bahut, et de se coltiner des acariâtres et des tordus. Après, parfois, chez les grands, c’est pire. Et puis, je ne sais pas pour vous, mais moi, à l’époque, j’avais pas a priori raison auprès des darons quand il s’agissait de bousculer les enseignants. C’était avant.

Interpellé par un parent héros, la mère Odile, un brin IIIème République mais pas la langue dans sa poche, lui a lâché sans barguigner : « Mais votre enfant, il est épuisé. Faites-le dormir la nuit, et après, on parlera de mes méthodes. » 1-1, balle au centre. Heureusement, loin de tout ça, pour les mômes d’hier et de demain, il y aura toujours, comme une explosion poétique, la marelle sous le préau craquelé, et, en classe, le ciel bleu qui passe par la fenêtre – pas de nuage au pays des poubelles.