Je m’appelle Leonarda Dibrani. Avec mon prénom de voyante d’arrière-cour, je suis la nouvelle star. Expulsée du territoire français avec ma famille, le 9 octobre, mon destin a préoccupé jusqu’au palais de l’Elysée. Les médias me suivent à la trace, comme si j’allais marcher sur l’eau, ou démultiplier les pains. Je joue leur jeu jusqu’à Mitrovica, où on a trouvé refuge. C’est la capitale du moche et de l’hostile, ici. Faites un détour pour voir, quand votre tour opérateur à la con vous enverra à Dubrovnik l’européenne.

Dans la rue, résonnent encore les bottes serbes de Slobodan Milosevic, armé par la France et les Russes. Les viols collectifs, les exécutions sommaires, les pillages. Mes oncles m’ont raconté. C’était avant que l’Otan intervienne. J’étais tout bébé. Et avant que naisse l’Etat du Kosovo. J’étais alors une fillette, et déjà en Italie. Aucun de vos journalistes illettrés n’avait entendu parler de Mitrovica, avant moi. Aujourd’hui, ils déblatèrent sur notre agression présumée : c’est tout bon, ça.

C’est dingue. La seule chose qui me vaille tous ces honneurs, c’est les conditions de mon interpellation. La police m’a arrêtée alors que je me trouvais à bord d’un car scolaire. Logique : les flics ne m’ont pas trouvée chez moi. J’ai 14 ans, et je découche souvent – ça vous défrise ? Alors, ils sont venus me cueillir au bahut. Remarque, ils ont eu du bol de me trouver : je fais péter un jour sur trois.
On se marre bien, avec mes frangines. Les Une des journaux, le feu des caméras, les déclarations politiques, votre Valls qui écourte sa virée aux Antilles rien que pour ma pomme de Rom ! Je vaudrais donc plus que le chaos socio-économique de vos Dom-Tom ? Et voilà que le président me propose publiquement de revenir, mais seule. Vous avez le goût de la farce et du burlesque. Vu de l’extérieur – car je ne serai jamais des vôtres, clandestine ou régulière -, je ne vois toujours pas, des politiques et des médias, qui est la pute, et qui est le maquereau. Ça m’énerve. Chez nous, au moins, c’est plus clair.

Vous devez avoir plein de choses à vous reprocher, pour prendre autant de pincettes et de guillemets. Les joyeuses rafles d’enfants juifs, lors de la 2ème guerre mondiale. Les délations. La collaboration. Avant, le colonialisme prédateur. Aujourd’hui, les inégalités, monstrueuses et croissantes, entre le pan d’humanité que j’incarne, et l’ogre occidental. Vous les traînez façon forçats, ces boulets d’histoires. Du coup, la France, pour nous, c’est open bar. Les assos, les soixante-huitards aux manettes, les avocats spécialisés : c’est tout bon, papa me l’a dit. On joue de votre érudition pusillanime – j’aime les mots compliqués, le français était ma matière préférée, au collège. Certains d’entre vous jugent mon interpellation abjecte – encore un mot balèze. Pas moi. D’ailleurs, tôt ou tard, avec mes frangins, nous reviendrons. Vous ne nous laissez pas le choix.