Faire, toujours faire, comme si l’on devait mourir demain. Les agendas s’emplissent, dans une espèce de peur-panique collective : les bébés dans les avions ou les piscines, les gosses au foot ou au conservatoire (selon le niveau de revenus), la braderie de la Ville (si vous cherchez du plastique fin Mitterrand/début Chirac), le musée ou l’opéra (pour le dire après, ça donne une contenance), les soldes (règle n°1 : persuader le client qu’il fait des affaires), les marchés d’été, les marchés de Noël, les sempiternels festivals (pour tous publics : alcooliques, drogués, dépressifs, profs…), la fête de la musique, du cinéma, des voisins, les virées à vélo du dimanche (avec le casque), les jours fériés peuplés de ponts-viaducs, les vœux stériles et interminables du mois de janvier (31 jours, pas de bol), les emplettes de Noël qui vont commencer, pour ne plus nous lâcher la grappe pendant deux mois, les anniversaires ruineux, le marathon de New-York (une image de winner sur le CV), Florence Foresti à Bercy, une promo à Disney, une virée en amoureux (depuis le temps), une manifestation, deux manifestations (peu importe contre quoi)… Refaire le monde avec des amis ? J’ai pas le temps, et c’est complètement ringard ton truc.
Bref, achetez dès à présent votre Filofax 2013, vous avez déjà un tas de dates im-man-qua-bles à y mentionner. Ainsi, 2012 même pas éteinte, vous aurez la certitude, pour l’année à venir, de ne pas avoir un seul cm2 de libre. Le pied. L’arme anti-imprévus, la solution bouche-trous, un vaccin contre l’éveil. Et puis, vous serez ‘tendance’. L’heure est aux grandes messes. Lesquelles présentent cet intérêt suprême : les individus s’y dissolvent. Occupons-les, gavons-les, laissons-les courir sans fin et sans but, comme des poulets sans tête. C’est mieux ainsi, quelque part. Trêve de consciences en action et d’esprit à l’affût. A l’heure des flux continus d’infos et du tout-connecté, réfléchir par soi-même devient un luxe. Savoir aligner deux phrases devient l’apanage d’un intellectuel. Dans 20 ou 30 ans, Victor Hugo et Arthur Rimbaud ne seront plus enseignés à l’école, faute de cerveau disponible en face. Voilà une menace bien plus sérieuse que les « terroristes » (on demande à voir) radicaux islamistes arrêtés le 6 octobre à Strasbourg.