Le plus talentueux des scénaristes ne l’aurait pas imaginé. Empêtré dans le Penelopegate (sans hashtag pour une fois), François Fillon, vainqueur incontestable de la droite et le centre il y a un siècle (en novembre), s’accrochera donc jusqu’au bout à son statut de candidat à la présidentielle. Indégommable. « Abandonner une course, pour un pilote, ce n’est pas naturel », déclare ce passionné de sport automobile et de photographie, qui affiche, dans la tempête, et c’est peu noté par les éditorialistes, une sacrée résistance physique et mentale. Rien à perdre, à 63 ans sonnés. Et pas de plan B, entre Juppé déjà condamné et Sarkozy bientôt devant les tribunaux.

Seul contre tous, ce qui sied à cet élu solitaire et secret. Malgré les sondages qui dévissent sous la barre des 20 %, du fait de la fuite d’une partie de son électorat vers Marine Le Pen et Emmanuel Macron, tous deux caracolant à ce jour en tête des intentions de vote. Malgré les lâchages en cascade par les élus et son équipe technique. Malgré les manœuvres pressantes d’une partie de son propre camp, mortifié à l’idée d’assister à une accolade entre François Hollande et Emmanuel Macron, mi-mai, sur le perron de l’Élysée. Malgré ses contradictions : il avait promis de ne pas se présenter s’il était mis en examen, avant de se raviser, sentant l’étau judiciaire se resserrer et la machine s’accélérer ; Il disait incarner la probité et pouvoir ainsi exiger des efforts au peuple, et se retrouve – selon un calendrier certes très étrange – pris la main dans le pot de rillettes du Mans. Malgré le risque, tout simplement, de priver les Français de campagne, alors que les enjeux ont rarement été aussi importants, nombreux et complexes – écologie, sécurité, emploi, formation, école, dette, désagrégation de l’Europe, axe Poutine-Trump, digitalisation de l’économie, réforme de l’État, code du travail.

Dans sa déclaration de renoncement définitif, ce lundi matin à Bordeaux, Alain Juppé s’est dit inquiet d’avoir vu à l’œuvre, dimanche au Trocadéro, devant François Fillon, un « noyau (40.000 de source policière) de sympathisants et militants LR radicalisé », alors que lui prône un rassemblement jusqu’au centre et une ligne plus modérée. Tacle direct asséné à, d’après lui, « l’obstination » de Fillon. « Au lendemain de notre primaire, François Fillon (…) avait un boulevard devant lui. Son système de défense fondé sur la dénonciation d’un prétendu complot et d’une volonté d’assassinat politique l’ont conduit dans une impasse. » En coulisse, Nicolas Sarkozy envoie ses gros bras – Ciotti, Baroin, Chatel – au Trocadéro soutenir Fillon sous la flotte, un dimanche après-midi, à l’aube d’un combat bien mal engagé – mais pas perdu d’avance, le niveau d’indécision du corps électoral se situant à un niveau exceptionnellement haut. Faut avoir le moral.

Mais le but ultime n’est pas là pour Sarko&co : les « familles » politiques n’ont de famille que de nom, et sont peuplées de squales dont chaque tape sur l’épaule sonne comme un coup de poignard dans le dos. En l’espèce, Sarkozy, qui doit bien se marrer, préfère adouber un Fillon et le voir battu, que de voir Juppé l’emporter. À l’extrême-gauche de l’échiquier, Jean-Luc Mélenchon ironise avec justesse : « J’ai de la peine pour les électeurs de droite. »

Se pose une foule de questions sur l’état de santé de la démocratie de la 5ème puissance du monde. D’où viennent les fuites de l’affaire Fillon vers Le Canard Enchaîné ? Pourquoi la justice a-t-elle été (ça change) si rapide ? Pourquoi les deux candidats de droite et d’extrême-droite sont menacés simultanément, à un mois du premier tour de la principale élection, de mises en examen ? À qui profitent les délits ? Fillon peut-il être à la fois suspecté de détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et trafic d’influence et en même temps se dire victime d’un complot ? Macron, tout nouveau tout beau, est-il « le candidat de Hollande », ou est-ce plus compliqué ? Dans quelle mesure les médias informent-ils ou contribuent-ils à manipuler l’opinion ? Le principe de séparation des pouvoirs fondamentaux – exécutif, judiciaire, législatif et médiatique – est-il périmé ? Moins anxiogène : est-ce la fin des partis traditionnels, et l’avènement d’une démocratie plus directe ?

Face à cette déferlante non exhaustive, un constat s’impose : la parole des « élites » (tout est relatif) perd en crédibilité. C’est injuste, pour les milliers d’élus qui travaillent dur, passionnément, honnêtement, dans le sens de l’intérêt public – et j’en croise tous les jours, de droite comme de gauche. C’est injuste, très dangereux et totalement désespérant. Quel bordel. Non : « quel gâchis », comme on dit à Bordeaux.